26.2.08

La Voie du Samouraï

Pratiques de la Stratégie au Japon
Auteur : Thomas Cleary
Editeur : Editions du Seuil, collection "Points/Sagesses"
Traducteur : Zéno Bianu
Titre original : The Japonese Art of War - Understanding the Culture of Strategy
Année de parution : 1991


Autant débuter ce weblog par un ouvrage d'une exceptionnelle qualité doublée d'un intérêt historique et géopolitique réel. Thomas Cleary est l'un de ces auteurs qui disposent de l'étonnante faculté d'exprimer simplement et efficacement des notions difficiles d'appréhension logique.

La portée intellectuelle de ce court texte est immense, par où commencer ? Disons que La Voie du Samouraï est une entreprise tout à fait réussie de démystification, pour le profane, des relations étroites historiques, techniques et pratiques de deux aspects culturels fondateurs de la société nippone et profondément ancrés dans les traditions de celle-ci : l'art de la guerre ou Bushidô (littéralement : "la Voie du Guerrier") et le Zen, importé de Chine. L'on y apprend par exemple de quelle façon le Zen fût incorporé au sein du Bushidô par les castes féodales guerrières du Japon, et cette façon n'est évidemment en rien étrangère à l'art de la guerre lui-même puisqu'elle éleva le Bushidô au rang de dignité spirituelle et lui conféra cette aura si mystérieuse et si inquiétante pour l'occidental néophyte, non averti, en un mot : dupé.

Néanmoins, l'approfondissement des enseignements Zen (soit : du boudhisme Zen) par des guerriers d'exception tels que Myamoto Musashi et Yagyû Munenori, en relative période de paix, ont transformé la simple aptitude guerrière en voie spirituelle, la Voie du Samouraï, dont le terrain de lutte se situe autant à l'extérieur que dans l'univers mental intérieur du guerrier, si tant est que la frontière entre les deux notions puisse encore être conçue comme imperméable. Ces "guerriers zen" -c'est surtout le cas pour Yagyû Munenori- nous invitent avant tout à une pratique de l'hygiène de l'esprit dans laquelle l'obsession guerrière ou la concentration forcenée sur ses aspects techniques constituent un attachement irrationnel, improductif et néfaste qui nous écarte de la réalité et ruine les bénéfices de toute compétence. Observer sans interpréter, prêter une attention égale à toute chose sans chercher à hiérarchiser l'information, être à la fois acteur et spectateur de ses propres processus mentaux, c'est dépolluer et décongestionner son esprit, quitter le rêve et revenir à la réalité de l'ici et du maintenant, et devenir immédiatement et irrésistiblement efficace.

L'auteur insiste sur la nécessité, pour le samouraï zen, d'identifier et d'éliminer systématiquement les points de fixation de l'esprit, et ce de façon récursive (afin d'éviter que l'objectif de non-fixation devienne lui-même un point de fixation, ce qui revient à lui ôter son caractère d'"objectif", notion inhérente à l'égo) : en cela, on comprendra que la supériorité stratégique envisagée sous cet angle est basée sur l'authenticité du rapport à la réalité et sur l'instantanéité qui en découle. La Voie du Samouraï rejoint donc, à ce stade d'évolution, toutes les autres voies sprituelles de la culture nippone, et cette convergence distingue en pratique le guerrier véritable : l'art de la guerre, dans toute sa fluidité, ne saurait donc être considéré isolément des autres. Stupéfiante perspective qui replace la stratégie à la place qui lui revient autant qu'elle lui convient.

Merci à Monsieur L. pour m'avoir conseillé cet ouvrage.

Contenu stratégique : oui, école nippone.
Stratégie comparative : un peu, les interactions stratégiques entre l'école nippone et l'école occidentale classique sont abordées.
Etat de l'art stratégique : non.
Genèse de la stratégie : oui, à l'échelle collective de la civilisation nippone.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très heureux de te voir te lancer dans ce nouveau blog, où je te suivrais avec grand plaisir. Belle définition du zen, que je ferais sans doute mienne. Comme à chaque fois, cette dimension du zen comme volonté de non-fixation des objets se présentant à la conscience lève l’interrogation des rapports d’une telle conception avec celle de la phénoménologie. Car cette visée vers une conscience constamment labile, jamais cristallisée à un objet, ne peut être systématique qu’en un sens qui n’est certainement pas celui qu’un occidental (c'est-à-dire un héritier de Kant et de Hegel) donne à ce terme…

Emptiness a dit…

Merci !

Il me semble que le boudddhisme tibétain tel que rapporté par A. David-Néel résoud cette difficulté en posant la phénoménologie comme rendant compte du fonctionnement de notre esprit et non celui de la matière, ce qui -et c'est là toute la difficulté de l'appréhension de la Doctrine du Vide, pour les Occidentaux comme pour les autres- ne signifie absolument pas que le phénomène étudié soit vide de réalité propre, mais plutôt que l'objectivité et la subjectivité sont des constructions égotistes éronnées.

Ainsi, le non-attachement de l'esprit à l'objet lui permet(trait)-il de dépasser, généralement de façon assez soudaine ("illumination"), l'illusion du rapport du sujet à l'objet, l'artifice de la frontière sujet-objet et d'atteindre un perception authentique et une compréhension immédiate de la réalité, au sein de laquelle la représentation phénoménologique existe pour ce qu'elle est : un processus mental porté par une entité perméable.