29.2.08

L'Art de la Guerre par l'Exemple

Stratèges et Batailles
Auteur : Frédéric Encel
Editeur : Flammarion, collection "Champs"
Année de parution : 2000




L'histoire est la science des stratèges, selon certains. Si tel est le cas, l'ouvrage que voici, très instructif sur le plan purement historique, ne démérite nullement en matière de contribution dans la formation du stratège. L'Art de la Guerre par l'Exemple, plutôt que de se livrer à de longs développements théoriques, opte pour une série de présentations efficaces de ce que d'éminents leaders ont réalisé par le passé, ainsi que des moyens dont ils usèrent pour parvenir à leurs fins, depuis l'Antiquité jusqu'à l'époque contemporaine.

Quelques mythes historiques en prennent pour leur grade : non, Charles Martel n'a pas stoppé les incursions arabes en 732 à Poitiers, en dépit d'un détournement de cette escarmouche mineure à des fins idéologiques douteuses, depuis Pépin le Bref jusqu'à nos manuels scolaires. Non, les chevaliers français ne rivalisèrent pas d'héroïsme malchanceux face à l'envahisseur anglais : ils firent surtout la démonstration de leur profonde stupidité teintée d'arrogance, d'autant plus coupable qu'elle fût par trois fois répétée à quelques années d'intervalle (Crécy 1346, Poitiers 1356, Azincourt 1415). Oui, les conceptions stratégiques de Napoléon Bonaparte sont dignes d'être étudiées, mais pas pour les raisons qu'on croit, et l'aventure eût rapidement tourné court à Iena sans le génie tactique d'un Louis Nicolas Davout.

Une bataille militaire est souvent suivie d'une manoeuvre politique visant à s'approprier ses bénéfices ou altérer ses impacts à grands renforts de propagande. C'est là qu'intervient le travail de l'historien, dont la noblesse consiste précisément à nous faire prendre conscience de l'existence d'une histoire officielle au sein de laquelle aucune leçon ne peut naturellement être tirée. Frédéric Encel y parvient, merci à lui.

Contenu stratégique : oui, par l'exemple (évidemment). Noter que ce contenu diffère à plusieurs reprises et avec une grande pertinence de la version officielle, ce qui confère à l'ouvrage une dimension incontournable.
Stratégie comparative : non.
Etat de l'art stratégique : non.
Genèse de la stratégie : non.

26.2.08

La Voie du Samouraï

Pratiques de la Stratégie au Japon
Auteur : Thomas Cleary
Editeur : Editions du Seuil, collection "Points/Sagesses"
Traducteur : Zéno Bianu
Titre original : The Japonese Art of War - Understanding the Culture of Strategy
Année de parution : 1991


Autant débuter ce weblog par un ouvrage d'une exceptionnelle qualité doublée d'un intérêt historique et géopolitique réel. Thomas Cleary est l'un de ces auteurs qui disposent de l'étonnante faculté d'exprimer simplement et efficacement des notions difficiles d'appréhension logique.

La portée intellectuelle de ce court texte est immense, par où commencer ? Disons que La Voie du Samouraï est une entreprise tout à fait réussie de démystification, pour le profane, des relations étroites historiques, techniques et pratiques de deux aspects culturels fondateurs de la société nippone et profondément ancrés dans les traditions de celle-ci : l'art de la guerre ou Bushidô (littéralement : "la Voie du Guerrier") et le Zen, importé de Chine. L'on y apprend par exemple de quelle façon le Zen fût incorporé au sein du Bushidô par les castes féodales guerrières du Japon, et cette façon n'est évidemment en rien étrangère à l'art de la guerre lui-même puisqu'elle éleva le Bushidô au rang de dignité spirituelle et lui conféra cette aura si mystérieuse et si inquiétante pour l'occidental néophyte, non averti, en un mot : dupé.

Néanmoins, l'approfondissement des enseignements Zen (soit : du boudhisme Zen) par des guerriers d'exception tels que Myamoto Musashi et Yagyû Munenori, en relative période de paix, ont transformé la simple aptitude guerrière en voie spirituelle, la Voie du Samouraï, dont le terrain de lutte se situe autant à l'extérieur que dans l'univers mental intérieur du guerrier, si tant est que la frontière entre les deux notions puisse encore être conçue comme imperméable. Ces "guerriers zen" -c'est surtout le cas pour Yagyû Munenori- nous invitent avant tout à une pratique de l'hygiène de l'esprit dans laquelle l'obsession guerrière ou la concentration forcenée sur ses aspects techniques constituent un attachement irrationnel, improductif et néfaste qui nous écarte de la réalité et ruine les bénéfices de toute compétence. Observer sans interpréter, prêter une attention égale à toute chose sans chercher à hiérarchiser l'information, être à la fois acteur et spectateur de ses propres processus mentaux, c'est dépolluer et décongestionner son esprit, quitter le rêve et revenir à la réalité de l'ici et du maintenant, et devenir immédiatement et irrésistiblement efficace.

L'auteur insiste sur la nécessité, pour le samouraï zen, d'identifier et d'éliminer systématiquement les points de fixation de l'esprit, et ce de façon récursive (afin d'éviter que l'objectif de non-fixation devienne lui-même un point de fixation, ce qui revient à lui ôter son caractère d'"objectif", notion inhérente à l'égo) : en cela, on comprendra que la supériorité stratégique envisagée sous cet angle est basée sur l'authenticité du rapport à la réalité et sur l'instantanéité qui en découle. La Voie du Samouraï rejoint donc, à ce stade d'évolution, toutes les autres voies sprituelles de la culture nippone, et cette convergence distingue en pratique le guerrier véritable : l'art de la guerre, dans toute sa fluidité, ne saurait donc être considéré isolément des autres. Stupéfiante perspective qui replace la stratégie à la place qui lui revient autant qu'elle lui convient.

Merci à Monsieur L. pour m'avoir conseillé cet ouvrage.

Contenu stratégique : oui, école nippone.
Stratégie comparative : un peu, les interactions stratégiques entre l'école nippone et l'école occidentale classique sont abordées.
Etat de l'art stratégique : non.
Genèse de la stratégie : oui, à l'échelle collective de la civilisation nippone.

17.2.08

Présentation du Weblog

Bien que la pensée stratégique soit de plus en plus prolifique et médiatisée, les mouvements de sa structure profonde demeurent confidentiels et la confrontation de ses différents courants plébiscités, traditionnels et empiriques confère en pratique un aspect désordonné et confus à cette discipline pourtant pourvue d'un degré peu commun d'exigence rationnelle.

Or, pour qui s'y intéresse au-delà de la pulsion égotiste de l'intérêt particulier et de l'avantage sur l'autre, les ouvrages de contenu stratégique au sens strict, bien qu'invariablement intéressants sur le fond, n'en demeurent pas moins peu capables de résoudre les interrogations fondamentales qui surviennent lorsqu'au-delà de la question du comment faire, la comparaison des différents courants de la pensée stratégique entraîne l'esprit du stratège sur le chemin de la relativisation de ses propres référentiels de compréhension du réel. Cette frustration s'accroît encore lorsque la recherche de la méthode adéquate à la comparaison des stratégies débouche sur un questionnement relatif au processus de genèse de la stratégie dans le cerveau humain, interrogation d'autant moins traitée dans la littérature qu'elle renvoie souvent à l'histoire personnelle, intime, du stratège, et transcende le sens de son action.

Le présent weblog est avant tout celui d'un lecteur assidu d'ouvrages de stratégie, que cette dernière se décine selon ses aspects politiques, militaires, économiques ou interrelationnels. Il a pour objectif d'aider à la compréhension de la pensée stratégique dans son ensemble par la présentation synthétique des livres parcourus. Ceux-ci ne seront pas notés, le rédacteur de ces lignes n'étant pas un critique et ne souhaitant pas accéder à cette fonction. En revanche, nous nous attacherons à tenter de situer les différentes oeuvres les unes par rapport aux autres dans un objectif d'assistance au cheminement personnel du lecteur. Pour ce faire, nous nous aiderons de la classification -évidemment contestable- suivante :

-ouvrages de Contenu stratégique, lesquels abordent au premier plan les techniques du stratège sur le terrain de la confrontation, ses modes de pensée, l'état d'esprit qu'il convient d'adopter face à telle ou telle situation, les raisonnements pertinents, etc. Ces ouvrages sont les plus nombreux, et comportent d'ailleurs d'illustres références historiques ;

-ouvrages de Stratégie comparative, lesquels s'attachent à l'évaluation réciproque de deux ou plusieurs contenus stratégiques distincts face à une ou plusieurs situations de référence, généralement dans un objectif de déconditionnement/recentrage de la pensée et de maîtrise de l'interaction ;

-ouvrages d'Etat de l'art stratégique, lesquels prétendent dresser l'inventaire des courants et pratiques stratégiques établies sur un périmètre de référence, que ce dernier soit historique, géographique, culturel... Il se peut que le périmètre de référence soit assez vaste pour conférer une dimension encyclopédique à l'ouvrage en question ;

-ouvrages traitant de la Genèse de la stratégie dans l'esprit des individus ou groupes d'individus qui la conçoivent. De telles oeuvres sont marginales, souvent brillantes, troublantes et leur dessein n'est évidemment pas d'ordre pratique, mais elles renseignent utilement le stratège sur sa propre nature. Cette dernière est souvent examinée à la lumière d'autres courants de pensée : pychanalyse, Zen, neurologie, sociologie, Bouddhisme tibétain (tel que rapporté par David-Néel au siècle dernier) donnent au stratège les clés lui permettant de comprendre un élément essentiel du dispositif stratégique : lui-même.

Enfin, nous nous attarderons occasionnellement sur des ouvrages à matériau stratégique, lesquels, dans notre esprit, n'ont pas de visée stratégique proprement formalisée mais dont le contenu présente un intérêt évident lorsqu'envisagé sous l'angle stratégique.

La folle prétention de ce weblog est d'inciter l'internaute adepte de l'art stratégique à embrasser toute l'exigence de sa pratique, notamment en ne limitant pas ses lectures aux prescriptions normatives de telle ou telle école de pensée, mais au contraire en osant, au minimum, les expérimenter par approche comparative. L'aventure intellectuelle stratégique transporte son voyageur dans les contrées sereines et fascinantes du fonctionnement de l'esprit et des mécanismes crus de l'activité de la matière. Même dans l'agitation la plus fébrile, la paix intérieure qui en résulte s'est affranchie de tout dogmatisme et devenue imperméable à l'idéologie : elle ne dépend que de soi-même. C'est tout le mal que je vous souhaite, ainsi que de profitables lectures.