4.4.08

Safari en Pays Stratégie

L'Exploration des grands Courants de la Pensée stratégique
Auteurs : Henry Mintzberg ; Bruce Ahlstrand ; Joseph Lampel
Editeur : Village Mondial (Pearson Education France)
Traducteurs : Larry Cohen ; Jacques Fontaine
Titre original : Strategy Safari - A Guided Tour Through The Wilds of Strategic Management
Année de parution : 1998


Et si la stratégie était un domaine si vaste, si dense et si complexe qu'il puisse échapper par nature à toute tentative de définition, ne se laissant appréhender que par facettes, de telle sorte qu'on puisse lui appliquer la mécanique de l'arcane : fondamentalement insaisissable et renvoyant avant tout le pratiquant aux limites et structures de sa personnalité et de sa culture ? Et si la plupart des stratèges prenaient la partie pour le tout, tant il est difficile et douloureux pour les certitudes d'envisager la juxtaposition de modes opératoires contradictoires en apparence et pourtant individuellement cohérents ? Et si l'art stratégique nous invitait au final à rencontrer la matière au lieu de la présupposer à l'image de notre esprit ?

Si tel était le cas, dresser le panorama des thèses, méthodes et familles stratégiques permettrait probablement de les relativiser les unes aux autres, à la condition de les comparer entre elles et de démontrer les limites des spécialisations jusqu'au-boutistes : c'est précisément le propos de Safari en Pays Stratégie qui passe en revue tant les écoles prescriptives ultra-normalisées et faisant d'ores et déjà l'objet d'une littérature fournie, que les méthodes empiriques, descriptives étudiées par les sociologues et les économistes tout au plus depuis la fin du siècle dernier.

C'est ainsi que les articulations mentales entre les premières, pour qui la réflexion précède nécessairement l'action et les secondes dont certaines vont jusqu'à prôner le tatonnement itératif sont révélées de façon, et c'est la plus grande valeur ajoutée de l'ouvrage, à formaliser l'école des entités capables de traverser les époques : celle de la Configuration, synthèse dynamique et adaptative des neuf courants étudiés, simultanément fonction du contexte et de ce que l'on est.

Bien écrit, accessible sans être simplificateur, exhaustif à sa manière, truffé d'exemples et d'humour fin, Safari en Pays Stratégie est un des ces livres étonnants de pertinence qui vous économisent plusieurs vies d'expérience en quelques semaines. C'est également une très bonne entrée en matière stratégique permettant de recadrer l'apport des oeuvres de strict contenu.

Ressources :

Une fiche de lecture disponible ici (auteur Patrick Perrotton)

Contenu stratégique : oui, succinctement, école thématique par école thématique.
Stratégie comparative : oui, notamment entre écoles d'approches opposées.
Etat de l'art stratégique : oui (sujet central du livre).
Genèse de la stratégie : oui, notamment par l'étude des processus de stratégie émergents.

Mise à jour du 10 Mai 2008 : les 10 courants de la pensée stratégique abordés dans l'ouvrage

Ecole de la conception : la réflexion précède et dirige nécessairement l'action, cette dernière est considérée comme le fruit d'une démarche intellectuelle à visée anticipative sur laquelle elle n'exerce aucune forme de préemption. On pense d'abord, on agit ensuite, il n'y a pas de place pour l'improvisation. De la qualité et de l'exhaustivité de l'analyse préalable découlent le succès d'une action posée comme formalité.

Ecole de la planification : développement à outrance des hypothèses de l'école précédente par une formalisation drastique, articulée et très concrète, élaborée par une entité planificatrice contrôlant régulièrement le bon déroulement des opérations par le biais d'indicateurs normés.

Ecole du positionnement : cette école pose le conflit comme postulat du développement stratégique. Les acteurs luttant pour l'exploitation ou la possession d'une même ressource (disponible en quantité limitée) peuvent être divisés en secteurs, selon des critères formalisés par ces acteurs eux-mêmes. L'avantage revient à celui qui, comprenant le mieux la nature, les mécanismes et les paramètres d'un conflit donné, parvient à opérer, au moment et à l'endroit opportuns, un différentiel de quantité (concentration) ou de qualité (avantage concurrentiel) dans la disposition de ses forces, par comparaison avec le fonctionnement de la partie adverse.

Ecole entrepreneuriale : la stratégie procède d'une vision, d'une perspective, généralement formée dans l'esprit intime d'un individu isolé correspondant au profil mercurien : forte relativisation des valeurs et concepts de la société d'appartenance, besoin d'affection et de reconnaissance inférieur à la moyenne, sens du contact, propension à utiliser la ruse, la duperie et à faire preuve d'astuce. Sur le terrain, les détails sont peu à peu ajustés en fonction de leur degré d'adéquation à la vision entrepreneuriale. Le stratège traque sans relâche et saisit les opportunités qui le propulsent peu à peu vers son objectif, n'hésitant pas à s'exposer lui-même aux risques inhérents à cette démarche pragmatique et fondamentalement solitaire.

Ecole cognitive : la stratégie est d'abord et avant tout considérée comme un processus mental à purifier des imperfections logiques communément rencontrées dans les mécanismes de la pensée, puis à relativiser par rapport au référentiel de multiples grilles de lecture de la réalité superposées, résultantes d'histoires personnelles et collectives et agissant comme autant de miroirs déformants aux interactions amplificatrices ou compensées . Le stratège-et non la stratégie- est bien le sujet central de préoccupation de cette école.

Ecole de l'apprentissage : ici, la formulation de l'action n'est pas séparée de sa réalisation. Cependant, il ne s'agit pas tant de s'adapter constamment à un environnement en mouvement que de promouvoir consciemment un apprentissage collectif opéré par l'expérimentation continue et l'accompagnement rigoureux de l'analyse et du raffinage de la connaissance acquise par l'expérience, particulièrement en cas de succès, afin d'acquérir des compétences rares car spécifiques, peu reproductibles et difficilement exprimables pour des adversaires orthodoxes conduits par un leader éclairé. Par la résolution de problèmes locaux par des individus isolés ou des sous-entités, le groupe acquiert et intègre consciemment des processus actifs et pratiques de plus en plus efficaces et de mieux en mieux explicités, jusqu'à dessiner un destin collectif et structurel dans lequel l'apprentissage peut-être d'autant mieux rentabilisé que mesuré à l'épreuve des faits.

Ecole du pouvoir : celle-ci estime que la stratégie d'une organisation résulte principalement, d'une part, de l'interaction entre les intérêts particuliers de ses membres et, d'autre part, de l'interaction entre les intérêts de l'organisation et ceux d'entités tierces. A l'intérieur de l'organisation, les décisions sont le résultat de négociations plus ou moins formelles entre acteurs internes au sujet des allocations de ressources (que l'on ne cherchera pas nécessairement à ramener à soi, mais que l'on décidera d'affecter ici ou là en fonction de tel ou tel système de valeurs morales ou intellectuelles). Simultanément à ce processus politique, l'organisation établit des alliances avec d'autres entités dont elle partage partiellement les intérêts, au détriment d'autres qu'elle considère comme néfastes ou dont elle souhaite acquérir les ressources.

Ecole culturelle : ce courant postule que les membres d'un groupe en viennent tôt ou tard à partager, inévitablement, une interprétation commune de la réalité qui se décline en diverses valeurs et traditions et qui confère à l'entité une forme d'identité sociale, de saveur. Cette identité assure la cohésion du groupe, condition première de sa survie en tant qu'entité sociale dans l'adversité, et sa gestion mérite de la part du stratège une attention toute particulière.

Ecole environnementale : l'environnement extérieur est considéré comme un acteur en soi, non comme une matrice passive dans laquelle s'imprimerait les actions de l'organisation. Les caractéristiques de l'environnement (complexité, plasticité, hostilité, dynamisme…) obligent les entreprises à acquérir un certain nombre de compétences et d'inclinations pour survivre, et l'enjeu consiste précisément à les identifier. Etonnamment, ce courant démontre que les organisations ne sont nullement démunies face aux pressions institutionnelles mais savent généralement y réagir en développant des comportements ne répondant pas nécessairement au rituel de subordination attendu face à l'autorité.

Ecole de la configuration : cette école synthétique intègre les modes de fonctionnement des écoles précédentes à divers degrés de l'espace et du temps du cycle de vie des organisations. Elle tente donc de définir à quel moment, dans quelles conditions et pour quels acteurs telle ou telle école s'avère temporairement pertinente en pratique et, par extension, s'attache à définir la conduite de la transformation d'un mode à l'autre et la structure des interfaces de fonctionnement entre deux sous-entités pratiquant simultanément deux courants stratégiques distincts.

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